Nouvelle

Publié le par Hervé Descamps

MIRAGE ...

Il s'était complètement paumé le Philou !

Ce coup ci, il avait été dans la merde la plus totale, encore heureux qu'il ait le super  plein et qu'il savait en gros où aller.

A droite, à gauche, devant, derrière, le désert, ce putain de GPS qui ne fonctionnait plus il lui avait fallu faire la nav à la boussole, comme au bon vieux temps du gars Thierry.

- "Dire qu'il y a huit jours j'étais entouré par une noria de petites nanas, toutes plus amoureuses les unes que les autres, en train de siroter un thé glacé à la terrasse du Hilton !"

Un pari à la con, pari d'honneur de surcroît, avec tous les anciens du Dakar. Relier NALOUAR à KSAR GHALIF en passant par le désert, en moins de deux jours. La distance n'était pas tellement importante mais la piste, enfin plutôt le tracé, tellement difficile qu'il avait rebuté n'importe quel organisateur.

Pour compléter le tout il n'avait prévenu personne de son départ, laissant juste le soin à la poste locale de mettre au parfum les copains. Tout le monde était d'ailleurs persuadé qu'il avait fait ce pari idiot sous le coup de l'alcool,  personne ne s'attendait à ce qu'il cherche à le gagner.

Le courrier leur arriverait Lundi, on était Samedi soir, avec un peu de pot il le devancerait avec la radio du poste.

Il avait retrouvé son cap mais le sable se faisait de plus en plus mou et la progression difficile.

Pour la cinquième fois il venait de s'enliser. Son expérience lui avait permis jusque là de s'en sortir assez facilement mais ce coup ci il était sérieusement planté. Gaz à fond, charges l'avant et fais un mouvement de bascule, allez on y va. Merde qu'est ce qui se passe, la chaîne est bloquée.

Le temps de sortir la bécane de sa gangue de sable et ...

OUAHOU !! là j'ai tout faux. Incroyable. Le pignon de sortie de boîte cassé net. En deux, pile au milieu, devait y avoir un défaut....

Ce qui n'aurait été qu'une péripétie dans un contexte normal risquait bien, au beau milieu de ce désert, de devenir un piège à l'issue plutôt incertaine.... Pas question de réparer, pas question non plus de trouver une solution de rechange.

Ce coup ci c'est vraiment fini. Il n'y a plus qu'à attendre, attendre qui et quoi ?

Le Philou, en habitué des galères, ne panique pas, il  est juste un peu assoiffé et un petit goût de cendre lui vient à la bouche. Mollo sur la flotte, il sait combien de temps on peut tenir sans boire aussi il faut se rationner. Tout à coup il songe que personne ne sait où il est, ce n'est pas les circonstances habituelles, le camion balai ne passera pas, l'hélico ne viendra pas. Cela fait une paire d'heures qu'il attend, il fait de plus en plus chaud.

Il n'y a plus que lui et le désert, tout se mélange dans sa tête, il n'a plus notion de grand chose, oubliées les consignes de sécurité, les conseils qu'il donnait aux néophytes.

"- Il faut que je m'en tire, je vais crever, j'ai pas soif, j'ai peur.....

Assis à coté de sa bécane il attend, il attend depuis combien de temps, il ne le sait même pas lui même.

L'Homme a bien vu depuis un certain moment, ce  blanc et sa machine. Mais pour lui le temps ne compte pas et la méfiance envers tout ce qui n'est pas de sa race est une condition essentielle de survie.

Il s'est approché et maintenant il n'est plus qu'à quelques mètres du motard.

Celui-ci est complètement étranger à tout ce qui est au sol, il ne pense qu'au bruit que fera l'hélico lorsqu'il arrivera, il a très soif mais n'ose pas entamer son capital survie, il commence doucement, un peu à cause du stress, un peu à cause du soleil, doucement à débloquer.

Le voilà qui psalmodie, mêlant prière et jurons païens .

L'homme du désert peut maintenant presque toucher celui de la ville. Il se lève soudain.

Philou ne peut réprimer un cri, cet espèce de géant, venu d'on ne sais où, se dressant tout à coup devant lui, c'est irréel. irréel et effrayant.

Soudain le motard réalise qu'il n'est plus seul, que sa vie n'est plus en danger, que son salut vient de cet étrange personnage, il est alors pris d'un rire nerveux, incoercible, qui fait froncer les sourcils au nouveau venu.

Conscient qu'il allait fâcher l'inconnu, Philou s'excuse et  essaye d'expliquer au grand noir que sa bécane est naze, qu'il faut qu'il attende les secours, qu'il ne sait absolument pas où il est.

Il lui parle en Français, en Anglais, il essaye quelques mots d'Arabe. L'homme se contente de hocher la tête ne semblant absolument pas comprendre un mot de ce qu'il lui racontait.

Soudain le noir désigne la moto et dit :

-"Esgaya", "Esgaya".

Il prend Philou par le bras et veut que celui-ci le suive.

L'absence de compréhension a jeté la trouble dans l'esprit du motard. Cet étrange personnage, au beau milieu du désert, venu de nulle part. Il est hors de question qu'il s'éloigne de son engin. Philou le fait comprendre au grand noir. Après avoir insisté et répété à maintes reprises son étrange message, celui-ci s'installe à quelques mètres, se drape dans son burnous et se contente de regarder le spectacle de ce blanc et de sa machine, symbole de toute une technologie inutile et complètement paralysée au milieu de ce désert ocre.

Chaque fois que leurs regards se croisent le noir répète toujours ce même mot "Esgaya, Esgaya .." et fait signe vers l'Ouest.

Ce manège dure un bon bout de temps.

Après avoir mûrement réfléchi, après avoir estimé les risques et s'être auto convaincu que, si le noir l'avait trouvé il saurait le ramener près de l'engin, Philou se dit que le fameux Esgaya était peut être un salut bien plus rapide et autrement moins aléatoire qu'attendre l'arrivée de l'hélico des copains dans une paire de jours.

Il se leva, le grand noir en fit autant comme si une sorte de communion d'esprit s'était forgée, en dehors du barrage de la langue, entre les deux hommes.

Ils marchèrent une petite heure pour atterrir près d'un tout petit erg . Au milieu des rochers il y avait une grotte.

-"Esgaya, Esgaya" .... Le grand noir désigna l'entrée de la caverne et s'assit sur un rocher.

Philou hésita un moment et invita le noir à le précéder.

Le géant sortit de sa sacoche en peau de chèvre une petite lampe à huile, claqua un briquet de silex et s'avança dans la grotte.

D'abord  Philou ne vit rien puis, stupéfaction, il aperçut au fond de la grotte une espèce de truc rouge et blanc posé contre le roc.

En Hiératique le phonétique Esgaya signifie Ecureuil .... Ecureuil comme le symbole qui ornait le réservoir de la bécane abandonnée au fond de la grotte .

Le seul petit problème c'est que plus personne n'utilise cette phonétique depuis quelques milliers d'années !!

Philou a essayé de retrouver l'endroit, a essayé de faire des recherches pour savoir à qui aurait pu appartenir cette bécane, impossible,  tout semblait être du domaine de l'irréel.

La seule chose qui était bien réelle c'était cette fameuse pièce, une fameuse pièce qu'il avait pu prélever sur l'épave et qui lui avait permis de repartir ...

Réelle enfin presque car la bécane au Philou elle n'est jamais revenue en France. Elle a disparu durant son transport en bateau, tout comme il y a bien des années avait disparu une des bécanes du team Ecureuil à son retour de Dakar ....

Si cela se trouve elle est quelque part au milieu du désert entre ....

Ca vous dit d'aller la chercher !

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